Combien de fois sous la douche j’ai prononcé de façon inconsciente ces mots : c’est la fin. Quelqu’un chante. Pas un jour sans que ne remonte en moi ce vers, similaire à une mémoire hypnotique, le souvenir d’une Atlantide perdue qui toujours remonte à la surface. Jadis si je me souviens bien ma vie était un festin.

Lui et quelques autres vers ou poèmes me possèdent et me dispersent à la fois. Les mots me montrent la vie multiple, comme les fenêtres du château le paysage. Une fois le lourd rideau tiré en arrière, la lumière apparaît. Et je peux marcher dans les couloirs du château et changer de point de vue sur la vie à chaque nouvelle croisée.

Un poème est une persienne sur le monde.

C’est la fin. Quelqu’un chante. Et la chanson va continuer en 2024 ; car dans la houle, le vent, ou la tempête, le lascar chante encore sous la douche.

Sous un seul hunier - le dernier - à la cape,
Le navire était soûl; l'eau sur nous faisait nappe.
- Aux pompes, faillis chiens! - L'équipage fit - non. -

- Le hunier! le hunier!...
            C'est un coup de canon,

Un grand froufrou de soie à travers la tourmente.
- Le hunier emporté! - C'est la fin. Quelqu'un chante. -
- Tais-toi, Lascar! - Tantôt. - Le hunier emporté!...
- Pare le foc, quelqu'un de bonne volonté!...
- Moi. - Toi, lascar? - Je chantais ça, moi, capitaine.

- Va. - Non: la goutte avant? - Non, après. - Pas la peine:
La grande tasse est là pour un coup... -
                        Pour braver,
Quoi! mourir pour mourir et ne rien sauver...
- Fais comme tu pourras: Coupe. Et gare à la drisse.
- Merci -
            D'un bond de singe il saute, de la lisse,

Sur le beaupré noyé, dans les agrès pendants.
- Bravo! -
            Nous regardions, la mort entre les dents.
- Garçons, tous à la drisse! à nous! pare l'écoute!...
(Le coup de grâce enfin...) - Hisse! barre au vent toute!
Hurrah! nous abattons!... -
                  Et le foc déferlé

Redresse en un clin d'oeil le navire acculé.
C'est le salut à nous qui bat dans cette loque
Fuyant devant le temps! Encor paré la coque!
- Hurrah pour le lascar! - Le lascar?...
                  - À la mer.
- Disparu? - Disparu - Bon, ce n'est pas trop cher.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

- Ouf! c'est fait - Toi, Lascar! - moi, Lascar, capitaine,
La lame m'a rincé de dessus la poulaine,
Le même coup de mer m'a ramené gratis...
Allons, mes poux n'auront pas besoin d'onguent-gris.

- Accoste, tout le monde! Et toi, Lascar, écoute:

Nous te devons la vie... - Après? - Pour ça?... - La goutte!
Mais c'était pas pour ça, n'allez pas croire, au moins...
- Viens m'embrasser! - Attrape à torcher les grouins.
J'suis pas beau, capitain', mais, soit dit en famille,
Je vous ai fait plaisir plus qu'une belle fille?...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le capitaine mit, ce jour, sur son rapport:
- Gros temps. Laissé porter. Rien de neuf à bord.

Tristan Corbière, Les amours jaunes, Poésie Gallimard

L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.

• Auteur du recueil les Amours jaunes et homme à l’humour noir, Tristan Corbière envoya par la poste à la femme qui lui demandait une preuve de son amour, un paquet contenant un cœur de mouton. (L’amour est abats de tripes*)

• Frappé du malheur comme un écu de la tête du roi, le poète avait coutume de s’en moquer (du malheur, donc) en se promenant en ville vêtue d’une mitre d’évêque ou d’un calot de forçat. (Chapeau dérision)

• Je concours. Ici les studios, à vous la poésie. Vous êtes quatre à gagner un exemplaire de « Antonin Artaud qui êtes vous » et un enregistrement sur cassette audio de Pour en finir avec le jugement de Dieu. Vous recevrez très prochainement un mail avec toutes les informations pour récupérer votre gros lot.

• L'an neuf - comme l'écrit Marina Tsvetaïeva, arrive. Et si à cette occasion tu écrivais un poème (même deux vers) pour souhaiter la bonne année. Tu a vu qu'avec Poésie grand débutant tu peux tout essayer : des rimes douces, des vers sombres, de la prose au kilo ou même du vers bête, avec ou sans l'auxiliaire avoir. Bref, écris un poème pour dire au monde ce que tu ne dis jamais. Ça me ferait plaisir de lire.

• * Si tu l'as t'es une championne ;-)