#POGD 92 Le retour au bercail

Une poésie par semaine dans ta boite mail

Roissy Charles de Gaulle. Hall 2 ou A, je ne sais plus. Je porte ma petite valise à la main, à 75 ans on est encore capable de ça. Je laisse derrière moi Paris, je retourne à Montréal. Femme de personne, statue de sel comme la femme de Loth, mes regrets sont au Canada, ma vie est à Paris.

Le bruit des avions ne me rappelle rien, où si peut-être quand j’allais voir papa et maman quand ils étaient encore vivants. Une autre vie. C’est bizarre comme les expressions les plus banales prennent tout leur sens dans certaines situations.

On appelle mon vol. Je me retourne comme si c’était moi personnellement qu’on appelait. J’aimerais bien. Mais à mon âge, plus personne ne compte sur moi. Je me dirige vers la porte d’embarquement en psalmodiant à voix basse, La fille maigre ; et dans ma tête, je me demande pourquoi toutes les versions que je connais s’arrêtent à Des songes bizarres et enfantins. Sans doute parce que la suite est un miroir et que les gens n’aiment pas trop se regarder dedans.


La fille maigre

Je suis une fille maigre
Et j’ai de beaux os.
 
J’ai pour eux des soins attentifs
Et d’étranges pitiés
 
Je les polis sans cesse
Comme de vieux métaux.
 
Les bijoux et les fleurs
Sont hors de saison.
 
Un jour je saisirai mon amant
Pour m’en faire un reliquaire d’argent.
 
Je me pendrai
À la place de son cœur absent.
 
Espace comblé,
Quel est soudain en toi cet hôte sans fièvre?
 
Tu marches
Tu remues;
Chacun de tes gestes
Pare d’effroi la mort enclose.
 
Je reçois ton tremblement
Comme un don.
 
Et parfois
En ta poitrine, fixée,
J’entrouvre
Mes prunelles liquides
 
Et bougent
Comme une eau verte
Des songes bizarres et enfantins.

Une petite morte

s'est couchée en travers la porte.

Nous l'avons trouvée au matin, abattue

Sur notre seuil

Comme un arbre de fougère plein de gel.

Nous n'osons plus sortir depuis qu'elle est la

Cet une enfant blanche dans ses jupes mousseuses

D'où rayonne une étrange nuit laiteuse.

Nous nous efforçons de vivre à l'intérieur

Sans faire de bruit

Balayer la chambre

Et ranger l'ennui

Laisser les gestes se balancer tout seuls

Au bout d'un fil invisible

A même nos veines ouvertes.

Nous menons une vie si minuscule et tranquille

Que pas un de nos mouvements lents

Ne dépasse l'envers de ce miroir limpide

Où cette soeur que nous avons

Se baigne bleue sous la lune

Tandis que croit son odeur capiteuse.

Anne Hébert, Le tombeau des rois, Anthologie de la poésie française, éditions Larousse, Jean Orizet.

Anecdotes et broutilles

L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.

  • Anne Hébert (1916 - 2000) habite chez ses parents jusqu'à l'âge de Trente-cinq ans. Après quoi, elle part vivre en France où elle s’installe définitivement après le décès de son père et sa mère, avant de revenir, quarante ans plus tard, vivre le reste de son âge au Canada. (mère partie/mère patrie, père parti/péripétie
    impair et manque)

Tu peux m'écrire en répondant à ce mail ou me faire un vocal pour me demander un poème ou une dédicace. À la semaine prochaine.

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