218 avant Jésus-Christ, Turbalio Balbillus se retrouve du mauvais côté de la Trebbia. Ce mauvais ruisseau plein de broussailles qui traverse la Plaisance. Il frissonne, trempé jusqu’à l’os, à la recherche de son buccin. Cette trompette romaine qu’il a laissée derrière un buisson pour aller se soulager. Mais avec la brume impossible de retrouver ce foutu bosquet. Il râle.
Il faut dire que Turbalio en marre. Marre de cette guerre entre Rome et Carthage. Marre de cette guéguerre entre ses deux chefs : Scipion l’attentiste et Sempronius l’impatient. Et puis il a peur. Hannibal Barca en face n’est pas un tendre. Il est rusé qui plus est. Pas plus tard que cette nuit, il a réussi à rallier ces imbéciles de gaulois à sa cause. Ces derniers ont rejoint le camp des Numides, sans oublier avant de partir d’égorger les Romains endormis.
Ah son buccin est là ! Enfin. Il n’y a plus qu’à espérer que ce gros tas de Sempronius ne profite pas de la blessure de Scipion pour déclencher l’attaque. Il en est bien capable, histoire de s’approprier une hypothétique victoire contre Carthage. Turbalio grelotte. ll aurait mieux fait de continuer à écrire ses poèmes dans sa cave à Rome que de s’engager pour la gloire.
Au loin les buccins sonnent. Merde la bataille commence. Turbalio Balbillus se dresse pour rejoindre sa légion. Il fait un pas. Un seul avant de renoncer. Il se rassoit. Sa décision est prise, il ne renquille pas. Au pire, il racontera la bataille. Qu’importe le vainqueur, il est sûr d’en faire un bon blockbuster.
La Trebbia
L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.
Le camp s'éveille. En bas roule et gronde le fleuve
Où l'escadron léger des Numides s'abreuve.
Partout sonne l'appel clair des buccinateurs.
Car malgré Scipion, les augures menteurs,
La Trebbia débordée, et qu'il vente et qu'il pleuve,
Sempronius Consul, fier de sa gloire neuve,
A fait lever la hache et marcher les licteurs.
Rougissant le ciel noir de flamboîments lugubres,
A l'horizon, brûlaient les villages Insubres ;
On entendait au loin barrir un éléphant.
Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche,
Hannibal écoutait, pensif et triomphant,
Le piétinement sourd des légions en marche.
José-Maria de Hérédia, Les Trophées, éditions Alfred Lemerre
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
José-Maria de Hérédia (1842 - 1905) s’impose comme l’une des figures majeures du Parnasse. Un mouvement poétique baptisé ainsi lors d’une réunion tumultueuse où l’on cherche un titre pour le premier recueil de vers de l’éditeur du mouvement, Alfred Lemerre. Dans la cacophonie et depuis l’escalier, une voix crie « Le Parnasse contemporain ». Le nom reste pour la postérité. (avoir l’esprit d’escalier)
Victime d’une première hémorragie digestive en 1903 puis d’une seconde en 1904, une dernière emporte le poète en 1905. (jamais deux sans trépas)
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