Qui ne s’est pas scruté nu un jour dans un miroir ? Qui n’a pas cherché dans les replis de son corps, la beauté et l’amour de soi. Qui ne s’est pas trouvé un jour enchanté par la forme de son mollet, l’arrondit de son ventre, la découpe d’une épaule ou le hâle de sa peau brune ?
Chacun — ici chacune — a fredonné un jour sa chanson préférée en hommage à son reflet ou tout du moins à un des éclats de son corps magnifié par le sentiment d’être en vie au sortir de la douche.
Marguerite aussi a joué les narcisses en son temps. De ce temps-là, si son corps est depuis longtemps poussière sa voix a traversé les siècles, joyeuse comme un rayon de soleil tombé sur une épaule nue.
[image : portrait de Marguerite de Navare Jean Clouet,1527.]
J’aime mon corps, demandez-moi pourquoi :
Pource que beau et plaisant je le vois !
Quant à mon âme qui est dedans cachée,
Je ne la puis toucher d’œil ni de doigt.
[N’en avoir point, ou qu’invisible soit,]
Ce m’est tout un, point n’y suis empêchée.
Âme soit âme à qui l’a bien cherchée ;
Mon corps est corps, je le sens vivement.
S’il a du mal, j’en suis toute fâchée,
S’il a du bien, j’en ai contentement.
Je le pare et dore,
Accoutre et décore
De tous ornements.
Je le peins et farde,
Remire et regarde
Voire à tous moments.
De le tenir sain,
C’est tout mon dessein,
Car je veux qu’il vive :
De mélancolie
Et de maladie
Pour lui suis craintive.
Je lui cherche joie
Et ne veux qu’il voie
Rien qui lui déplaise.
Honneurs pour lui chasse,
Pour le tenir aise,
Et tout le plaisir
Que l’œil peut choisir,
Au cœur je le donne,
Tant qu’il en peut prendre :
À ce veux entendre
Sans aimer personne.
Bref, tout mon penser
C’est de l’avancer
En plaisir parfait ;
Par peine non grande,
De ce qu’il demande
Le rends satisfait.
Version chanté par Chantal Grimm
Théâtre de femmes de l'ancien régime, La comédie de Mont de Marsan, Marguerite de Navarre, publication de l'Université de Saint Étienne
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
La légende raconte que la mère de Marguerite de Navarre (1492 - 1549), Louise de Savoie, trouva le nom de sa fille en avalant une huître. En effet, une perle était cachée à l’intérieur du coquillage ; perle qu’elle ingurgita évidemment — Margaritês, issu du grec, signifiant « perle ». (En ne mourant pas étouffée, la nature fit une fleur à Louise de Savoie)
Marguerite meurt en 1549 d’une inflammation au poumon ; le chroniqueur Brantôme écrira à ce propos « Ceste reyne prist sa maladye en regardant une comète qui paroyssoyt » (Elle disparut par la même cause des dinosaures)
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