Laisse-moi te dire. La poésie du jour commence par ces quatre mots. Une amoureuse prend la parole et parle à son poète. Elle lui livre son désir et lui l’accueille en funambule dans un équilibre parfait. Un peu comme le titre de cette newsletter qui prend tout son sens quand on connait l'histoire du poème.
Il est si délicat d’être simultanément dans le désir et la joie avec l’être aimé. De se fondre en lui sans se perdre. D’être à la fois le pont, l’arche et les rives, mais aussi la barque qui s’évanouit au loin dans le coude du fleuve.
La poésie permet ça, elle fédère tout. Elle bat les cartes, les rebat, les rassemble et les distribue pour nous permettre de jouer ensemble, amoureux. Loin de l’injonction, de l’amour, la poésie du jour, laisse la place à l’autre, quel qu’il soit : homme, femme, trans, hétéro, homo, lesbienne. Je pourrais continuer la liste, mais, n’en déplaise à certains, elle est sans fin. Sans doute parce que ce qui compte c’est l’amour.
Alors qui que tu sois ou qui que tu deviennes, prends ce poème et partage-le avec l’être aimé. Il y a deux personnages : un poète et une amoureuse, mais en vrai le genre n’a pas d’importance et tu vas vite comprendre pourquoi quand vous le lirez à haute voix !
Les Épiphanies
Laisse-moi te dire : j'ai besoin de me sentir voyagée comme une femme. Depuis des jours et des nuits, tu me révèles. Depuis des nuits et des jours, je me préparais à la noce parfaite. Je suis libre de ton corps. Je t'aime au fil de mes ongles, je te dessine. Le coeur te lave. Je t'endimanche. Je te filtre dans mes lèvres. Tu te ramasses entre mes membres. Je m'évase. Je te déchaîne.
Poète je t'imprime
Amoureuse je te savoure
Poète je te rame
Amoureuse je te précède
Poète je te vertige
Amoureuse et tu me recommences
Poète je t'innerve te musique
Poète te gamme te greffe
Poète te mouve
Amoureuse te luge
Poète te hanche te harpe te herse te larme*
Amoureuse te mire t'infuse te cytise te valve
Poète te triangle te pylône te spirale te bagage te semence
Amoureuse t’hirondelle t’arraisonne te reptile te bobine tisane te mygale te nageoire
Poète te calcaire te pulpe te golfe te disque
Amoureuse te langue te lune te givre
Poète te chaise te table te mime te marne
Amoureuse te meule
Poète te havre te cèdre
Amoureuse te rose te rouge te jaune te mange te laine te lyre te guêpe
Poète te corolle
Amoureuse te résine
Poète te margelle
Amoureuse te troène
Poète te savane
Amoureuse te chasuble
Poète te fougère
Amoureuse te solive te salive
Poète te scaphandre
Amoureuse te navire te nomade
Poète te nord sud est ouest
Amoureuse te solstice te panthère
Poète te marécage
Amoureuse te balsamine
Poète te glabelle
Amoureuse te javelle
Poète te calice
Amoureuse équinoxe
Poète te sisymbre te gingembre t'amande te chatte
Amoureuse t'émeraude
Poète t'ardoise
Amoureuse t'orange
Poète te liège
Amoureuse te loutre
Poète te galène
Amoureuse te pervenche
Poète te septembre octobre novembre décembre et le temps qu'il faudra.
Henri Pichette, Extraits des Épiphanies, club du livre du mois, 1955
Anecdotes & Broutilles
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
Les Épiphanies (en vrai) est une pièce de théâtre d’Henry Pichette créée et jouée par Maria Casares & Gérard Philipe (tous deux Wikipédia proof). Initialement annoncée au Théâtre ÉDOUARD VII, le directeur du théâtre (un malandrin , ça-y est tu as le titre ?) prit peur quand il vit les répétitions. Il fit une proposition à Maria Casares & Gérard Philipe que ceux-ci s’empressèrent de refuser. Ils montèrent finalement la pièce au théâtre des noctambules. (Nuit tu me fais peur)
Lors des négociations avec le théâtre, un journaliste rapporta dans un dialogue l’étonnante proposition du directeur du théâtre Édouard VII : — Je suis bon prince, répond le directeur : Voici ma proposition. Je fais assister quelques gens « normaux » à une de vos répétitions. S’ils ne s’indignent pas, trop, J’accepte, de consacrer à ce spectacle quelques matinées de 18 h & 20 h. Et si ces matinées ne provoquent pas de scandale, Je continuerai les représentations des Épiphanies en soirée. (Le théâtre c'est pas de la tarte)
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