Un autre poète — ou était-ce un acteur ? — a chanté À bicyclette, mais aujourd’hui, c’est du sérieux. Nous montons à vélo, direction col de la mémoire dans le tour de France des souvenirs. Même pas les miens où les vôtres nous sommes tous et toutes ici trop jeunes. Nos cercueils ont encore des petites roues.
Non, aujourd’hui, nous partons pour la mémoire du poète qui est aussi la nôtre. La matrice reste la même seuls les souvenirs changent. Notre mémoire est un téléviseur allumé ou l’onglet favoris de nos vidéos préférées. Elle tourne en boucle. Mêlant les aspirations et défaites que nous avons vécues.
Cette vie ramassée dans nos têtes, dense compacte, inéluctable boucle qui tourne sans fin. Cette mémoire est une assise, non un canapé d’où regarder la vie. Nos héros continuent de vivre, leurs combats sont les nôtres, leurs défaites, nos larmes, leurs victoires, nos chants. Ils sont nos semblables. Fragiles et vainqueurs comme Amina Zidani en 2024 !
Dans le jardin de Brambilla
Depuis cent ans que l'âme espère à bicyclette
il y a les pédaleurs de fête il y a les tâcherons
nous les pleins d'eau qui savons mal souffrir
on peut nous suivre à nos ahans dans la campagne
aux autres le fort bruit de soie d'un vélo bien mené
aux bien en selle aux bien en ligne aux affûtés
j'ai dû laisser partir les échappés je suis trop lourd
avec ce poids je devrais bien descendre même pas
loin derrière moi je me traîne en grimaces
et puis j'en ai assez de sonder le mystère
enfantin de la douleur qu'on s'inflige à vélo
surtout que des odeurs viennent du bois me ralentir
laissons-nous glisser rentrons dans l'immanence
et c'est là que tout à coup je pense à Pierre Brambilla
ah ça chez lui pas de grâce visible
on lui avait construit la tête à coup de poing
il pédalait comme on pioche et comme on bousille
il aurait dû gagner le Tour en 47
l'année Gide l'année Robic un été bleu
à chaise longue et fables sous les mouches
(je lisais Rien qu'une femme en guignant le bourdon
qui pompait la glycine et j'allais me caresser
dans la chambre bleue du fond presque froide)
eh bien quand par défaut de grâce il a dû raccrocher
au lieu de pendre sa machine à un clou du garage
et de l'y regarder ternir sous la poussière ignoble
au lieu de la fourbir en chambre tous les jours
où des pignoufs seraient venus la peloter
un jour il prend sa bicyclette et lui parlant
comme il l'a tant fait jusque-là sur les routes
sans pardon pour lui et sans quartier pour elle
il l'enterre à tout jamais dans le jardin
Pierre Brambilla mort aujourd'hui dit La Brambille.
Ludovic Janvier, La mer à boire, Poésie /Gallimard
Anecdotes & Broutilles
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
Eugène Guillevic (1907, 1997), né à Carnac (Bretagne), fils de marin, fut arraché à sa terre natale lorsque son père se fît gendarme. La légende raconte que ce breton entendit parler français couramment pour la première fois à ses 20 ans. Une autre légende raconte que son enfance fût triste. (Corrélation n’est pas causalité)
En 1926, il abandonne une « vie pauvre et étriquée en réussissant un concours de l’administration. » (Je vous laisse taper concours administratif 2024 sur google.)
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