Je me souviens. Je me souviens de cette salle de boxe derrière le hangar. Les cris, la foule aux abois à chaque uppercut, chaque esquive réussie. Des hommes, des femmes, le coach les yeux hagards gueulant sur son poulain. Le bruit mat des coups, le craquement des os (main de fer dans un gant de cuir), la vibration du gong qui arrête où démarre tous les coups. Le sifflet de l’arbitre.
Il s’est battu ce soir-là Géant Jones, battu à mort (avant de partir à la retraite par KO). Il a gagné le ciel. L’horizon des boxeurs dont le seul combat est celui contre soi-même. Douloureux et indispensable.
Après lui d’autres victoires viendront — Ô Amina Zidani — (la main qui arrachera l’or et le fer de la tour Eiffel), d’autres Champs Élysées. Et en contrebas de l’avenue, dans une rue perpendiculaire résonneront aussi les notes d’un piano. Libéré de ses gants, Géant Jones continuera son combat, deux mains qui courront sur le clavier. Il prendra le nom d’Eddie (nom d’artiste de sa mère) et jouera toute la nuit pour que dans ce nouveau cabaret la flamme des amoureux continue de briller.
Eddie avait vieilli
assis à son piano
Joue joue joue joue Eddie tu es comme un vieil ange
Jazz et mélancolie
Elle pose sa joue et met ses cheveux d'ange
si doux
dans mon cou
L'amour est un halo
Joue joue joue joue
Eddie
vieil ange de Soho
Où avais-tu appris
ces airs à fleur de peau
mortel et tendre écho
du rêve et de l'ennui
Joue joue joue joue Eddie tu as des ailes d'ange
Jésus est par ici
il t'écoute et il pleure Eddie tu es son ange
chéri
Ô chérie
quelque chose en nous meurt
Joue joue joue joue Eddie
notre temps et sa peur
Joue joue joue joue Eddie elle a des lèvres d'ange
Jésus jazz et folie
L'amour la mort nos corps nous sommes de vieux anges
déchus
mais nous aimant encore
Joue joue joue joue
Eddie
pendant que Londres dort
Joue joue joue joue Eddie
Joue
joue Il pleut fort au-dehors
joue Sa bouche que je mord
joue
que l'amour est amer et qu'amère est la mort
Mes mains vivent son corps
Soho est un tombeau
Joue joue joue joue Eddie
tous les enfants sont morts
Jazz Eddie on s'en fout
tu es l'ange du sort
Joue
joue
joue
joue
Encore
Louis Calaferte, Londonienne, Poésie Gallimard
Anecdotes & Broutilles
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
À la sortie de son premier livre, Requiem des innocents, Louis Calaferte (1928 - 1994) est tellement pauvre que son éditeur lui avance l’argent pour s’acheter un costume pour les photos de promotion. (être rhabillé pour les livres)
Entier et impatient, Calaferte est aussi très exigeant avec ses comptemporains. Un jour attablé à la terrasse d’un café, il s’attaque avec gourmandise à Climats d’André Maurois. Au bout de trois lignes, il s’arrête heurté par une phrase et s’exclame emphatique « J’abandonne ». (L'abandon fait le larron)
Avant de me quitter, laissez-moi un message sur mon répondeur où en répondant à cet email. Dites-moi ce que vous aimeriez lire dans les prochaines semaines ou mois.
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