Il faudrait pour accompagner ce poème des tambours. Au moins une basse profonde comme dans une chanson de Nick Cave ou des Cure. Il faudrait aussi du jazz, un son de trompette comme les doigts d’une couturière sur un ourlet que l’on reprend.
La vie est un métier sur lequel on remet cent fois son ouvrage. D’où que l’on soit, de Monparnok ou d’Oklahomasse qui sont les deux terres de la poésie ou les deux ciels, ou les nuages (les merveilleux nuages !) ou encore un rire qui grandit dans la rue comme un enfant qui chante.
La vie est un métier à tisser les rêves montée sur un cheval de course.
COURS-LES TOUTES
À Benjamin Péret
Au cœur du territoire indien d’Oklahoma
Un homme assis
Dont I'œil est comme un chat qui tourne autour d’un pot
de chiendent
Un homme cerné
Et par sa fenêtre
Le concile des divinités trompeuses inflexibles
Qui se lèvent chaque matin en plus grand nombre du
brouillard
Fées fâchées
Vierges à l’espagnole inscrites dans un étroit triangle isocèle
Comètes fixes dont le vent décolore les cheveux
Le pétrole comme les cheveux d’Éléonore
Bouillonne au-dessus des continents
Et dans sa noix transparente
A perte de vue il y a des armées qui s’observent
Il y a des chants qui voyagent sous l’aile d’une lampe
II y a aussi l’espoir d’aller si vite
Que dans tes yeux
Se mêlent au fil de la vitre les feuillages et les lumières
Au carrefour des routes nomades
Un homme
Autour de qui on a tracé un cercle
Comme autour d’une poule
Enseveli vivant dans le reflet des nappes bleues
Empilées à l’infini dans son armoire
Un homme à la tête cousue
Dans les bas du soleil couchant
Et dont les mains sont des poissons-coffres
Ce pays ressemble à une immense boîte de nuit
Avec ses femmes venues du bout du monde
Dont les épaules roulent les galets de toutes les mers
Les agences américaines n’ont pas oublié de pourvoir à ces chefs indiens
Sur les terres desquelles on a foré les puits
Et qui ne restent libres de se déplacer
Que dans les limites imposées par le traité de guerre
La richesse inutile
Les mille paupières de l’eau qui dort
Le curateur passe chaque mois
Il pose son gibus sur le lit recouvert d’un voile de flèches
Et de sa valise de phoque
Se répandent les derniers catalogues des manufactures
Alliés de la main qui les ouvrait et les fermait quand nous étions enfants
Une fois surtout une fois
C'était un catalogue d'automobiles
Présentant la voiture de la mariée
Au speader qui s'étend sur une dizaine de mètres
Pour la traîne
La voiture de grand peintre
Taillée dans un prisme
La voiture de gouverneur
Pareille à un oursin dont chaque épine est un lance-flammes
Il y avait surtout
Une voiture noire rapide
Couronnée d'aigles de nacre
Et creusée sur toutes ses facettes de rinceaux de cheminées de salon
Comme par les vagues
Un carrosse ne pouvant être mû que par l'éclair
Comme celui dans lequel erre les yeux fermés la princesse Acanthe
Une brouette géante toute en limaces grises
Et en langues de feu comme celle qui apparaît aux heures fatales dans le jardin de la tour Saint-Jacques
n poisson rapide pris dans une algue et multipliant les
Coups de queue
Une grande voiture d'apparat et de deuil
Pour la dernière promenade d'un saint empereur à venir
De fantaisie
Qui démoderait la vie entière
Le doigt a désigné sans hésitation l'image glacée
Et depuis lors
L'homme à la crête de triton
A son volant de perles
Chaque soir vient border le lit de la déesse du mais
Je garde pour l'histoire poétique
Le nom de ce chef dépossédé qui est un peu le nôtre
De cet homme seul engagé dans le grand circuit
De cet homme superbement rouillé dans une machine neuve
Qui met le vent en berne
Il s'appelle
Il porte le nom flamboyant de Cours-les toutes
A la vie à la mort cours à la fois les deux lièvres
Cours ta chance qui est une volée de cloches de fête et d'alarme
Cours les créatures de tes rêves qui défaillent rouées à leurs jupons blancs
Cours la bague sans doigt
Cours la tête de l'avalanche
André Breton, Poètes d'aujourd'hui, Seghers
Anecdotes et broutilles
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
André Breton (1896, 1966), jeune et impécunieux fût engagé chez Gallimard par l’entremise de Gide et Valéry. Il corrigea sur épreuve un ouvrage de Marcel Proust (Breton y laissa des coquilles, car il aimait les fruits de mer)
À la libération de Paris, une balle perdue partit du boulevard pour atterrir dans l’appartement d’André Breton et plus précisément dans un masque du poète Eluard. (Balle les masques)
Tu peux m'écrire en répondant à ce mail ou me faire un vocal pour me demander un poème ou une dédicace. À la semaine prochaine.