#POGD 59 Lev toi et marche

Une poésie par semaine dans ta boite mail

Impossible. Tout paraît impossible. Le chemin aboutit à un cul-de-sac, la manche barre la route vers l’Angleterre, et nous voilà désemparés devant la fuite d’eau du troisième.

Deux pieds, deux jambes, deux seins, un cul, deux cuisses, deux mollets, un ventre, un coup, une tête, des cheveux, deux mains, un ventre, deux bras et avant-bras. Vous en avez assez pour nager et traverser l’océan.

L’air est glacé, mais une pointe de lyrisme vous chatouille, un peu. Elle gratte la couche indécise de la rationalité bête du quotidien. Après tout vous avez deux yeux, deux oreilles, une bouche et un peu de culture générale (vous savez bien que Trotsky s’appelait Lev Davidovitch Bronstein, et Lénine Vladimir Ilitch).

La révolution permanente est peut-être aussi pour les chauves.



Matin d'octobre

Lev Davidovitch Bronstein agite sa barbiche, agite
Ses mains, sa chevelure hirsute ; encore un peu, il va
Bondir de son gilet et perdre ses bésicles d'érudit,
Lui qui parle aux marins de Cronstadt taillés dans le bois

mal

Équarri de Finlande, et guère moins sensibles que
Les crosses des fusils qui font gicler la neige sale.
Il prêche,
Lev Davidovitch, il s'époumone, alors
Que sur le plomb de la Neva lentement les tourelles
Du croiseur Aurora vers la façade obscure du
Palais d'Hiver se tournent.

Quel bagou ; quel ciel jaune ;

Quel poids d'histoire sur les ponts déserts où parfois ronfle
Une voiture aux ailes hérissées de baïonnettes.
À Smolny, cette nuit, les barbes ont poussé ; les yeux,
Brûlés par le tabac et le filament des ampoules,
Chavirent, Petrograd, devant ton crépuscule, ton silence
Où là-bas, au milieu des Lettons appliqués et farouches,
Lev Davidovitch prophétise, exhorte, menace, tremble
Aussi de sentir la masse immobile des siècles
Basculer sans retour, comme les canons sur leur axe,
Au bord de ce matin d'octobre.
(Et déjà Vladimir Ilitch en secret a rejoint la capitale ; il dormira
Plus tard, également grimé, dans un cercueil de verre,
Immobile toujours sous les bouquets et les fanfares.
Cependant Lev Davidovitch agite sa tignasse,
Rattrape son lorgnon,


- un peu de sang, un peu de ciel

Mexicain s'y mélangeront le dernier jour, si loin
De toi boueux octobre délirant au vent des drapeaux rouges.)

Jacques REDA, in 128 poèmes de la langues françaises par Jacques Roubaud, Gallimard

Anecdotes & Broutilles

L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.

  • Le grand-père de Jacques Reda (1929 - ∞) est fabricant de voitures de course automobile. Son père réparateur de vélo. Face à ces figures grandes et paternelles, Jacques publie en 1983, un recueil intitulé Gares et trains. (sortir des rails)

  • Grand amateur de Jazz, Jacques Reda vantera dans son court recueil Celle qui vient à pas légers les vertus pneumatiques du e muet. (PoésiE increvable)

  • Avant de me quitter, laissez-moi un message sur mon répondeur où en répondant à cet email. Dites-moi ce que vous aimeriez lire dans les prochaines semaines ou mois.

Poésie Grand débutant logo
Subscribe to Poésie Grand débutant and never miss a post.
#poésie grand débutant#poésie#pogd#lev davidovitch bronstein#vladimir ilitch#jacques reda
  • Loading comments...