Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les choses impossible à décrire.* Cette phrase de René Char vient en contradiction totale avec cette autre citation Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde. Comme toujours chez certains auteurs on retrouve le goût de l'absolu et aussi – soyons honnêtes – du drama.
D'autres sont plus terre à terre. Ils parlent de leurs états d'âmes. Les étalent sur une page comme du nutella sur une tartine. On peut alors s'en goinfrer avec la réconfortante impression de ne plus être seul. Voir même avec le sentiment d'avoir été compris.
Ils nous parlent ainsi depuis des siècles (l'auteur ou l'autrice ici est une anonyme du 12e ou 13° siècle) de la condition humaine. Ici, on parle l'amour et plus largement du chamboulement qu'il opére par son absence. Il en découle une perte de repère totale à laquelle ni boussole, ni compas, ni sextant (rien à voir avec la b..) ou gps ne peut remédier.
Le seul remède est le poème. Le simple fait de de l'écrire ou de le lire , même mal, même dans le mauvais sens, apporte un peu de paix.
C'est inestimable.
*Première phrase (incipit) de Pauvreté et privilège de René Char.
Le Bétourné
Entendez comme je suis chamboulé
de ne pas connaitre la joie d'amour :
parmi les sages je passe pour fou
et parmi les fous je suis plutột sensé.
Jamais je ne fis ce que je devais;
plus je suis en colère, plus je suis calme.
Je suis riche sans pouvoir rien
avoir; je suis méchant et courtois;
je suis un muet qui parle bien
et un sourd qui entend net,
un perclus qui se déplace vite
et un portefaix toujours au lit.
Je meurs de faim quand je suis rassasié,
fatigué de ne rien faire;
ma vertueuse femme me cocufie
et, à gaspiller mon bien, je l'entasse.
Je chevauche sans cheval,
de l'aller je fais le retour;
sans maison ni hộtel,
je pourrais loger un roi.
L'eau m'enivre plus que le vin,
le miel m'altère plus que le sel;
honnête homme et franche canaille,
je vous dirai vite qui je suis :
un Allemand et un Poitevin,
ni l'un ni l'autre, Dieu le sait.
La rotrouenge se termine,
qui maintes fois sera chantée;
elle s'en ira vers la jeunette
par qui Amour m'a chamboulé.
Sil lui plait, elle la chantera
pour moi qui la fis en été.
Ainsi, par Dieu, ma personne
éprouvera sa bonté.
Anonyme, Anthologie de la poésie lyrique française des XIIe et XIIIe siècle, Poésie Gallimard
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
Anonyme, l'auteur, n'est pas connu du grand public. Ce poème n'est cependant pas son seul exploit. Maître bâtisseur, il construisit une église dédiée à Saint Benoît à Paris au VIe siècle. Distrait, il orienta le chœur plein ouest alors que la tradition exigeait une orientation est-ouest. L'église prit donc le nom de Saint Benoît le Bétourné. (faites demi tour immédiatement)
Anonyme (toujours l'auteur ou l'autrice) était aussi un franc feignasse. Puni par Dieu, a priori pour une sombre histoire d'église ss dessus dessous, il fût réincarné en Tristan Corbières, poète du 19e siècle. Ce dernier ressorti le même poème se donnant juste la peine de le mettre au goût du jour. La qualité du wifi en gare ne me permet pas de retrouver le nom du poème immédiatement mais vous le retrouverez dans la semaine sur notre instagram @poesiegd. (feignant un jour feignant toujours)
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